LES EPERONS

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« L’abus d’éperon est dangereux pour la santé, à consommer avec modération »

Je crois qu’on devrait écrire ça sur les rayons des magasins d’équitation, et aussi dans les réglements des concours, en dressage, mais pas que.

Bref, avant de passer à la polémique – puisque l’éperon (l’outil, pas le magazine !) s’y prête volontiers – je vous propose un point historique, pour savoir où-quand-comment l’éperon, puis une petite partie descriptive, pour définir les multiples modèles qui existent sur le marché.

1. L’histoire des éperons.

Ils ont été mis au point par les Chinois il y a fort longtemps (dans les siècles avant JC, c’est pour dire), et étaient utilisés pendant l’Antiquité par les Grecs et les Romains : c’était une simple pointe en métal, attachée au talon par une lanière. En général, ils n’en portaient qu’un seul.

En Europe, pendant le Moyen-Age, l’éperon s’est énormément développé : il est l’un des symboles de la chevalerie puisque « chausser les éperons à quelqu’un », c’était une partie de l’adoubement, qui fait de l’écuyer un vrai chevalier ; et il a gagné du prestige au point de devenir l’un des cinq signes « de grand honneur », avec la couronne, l’épée, le sceptre et le globe (comme celui de Charlemagne).

Les éperons du M-A étaient soit à piques, soit à molettes, avec une tige très longue, et ce pour deux raisons : 1. les chevaliers chaussaient très longs (cf détail de la tapisserie de Bayeux), étant assis au fond de leur selle pour bien encaisser les chocs d’une charge brutalement interrompue et 2. il fallait pouvoir atteindre le cheval, entre ses couches d’armure. Sur la raison d’éperons aussi sévères, je pense qu’il faut se souvenir que les chevaux de bataille des chevaliers étaient des « lourds », aux réactions plus lentes que les chevaux de sang ; mais il leur fallait une sacrée carrure pour porter au galop de charge les kilos de ferraille dont s’entouraient les chevaliers. Et donc, dans le feu du combat, pour obtenir des réactions vives de leurs montures, il fallait employer les grands moyens (cf aussi la photo du mors médiéval, appartenant à la sellerie privée de Mario Luraschi).

Eperons normands :

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Tapisserie de Bayeux (détail) :

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Mors médiéval avec piques défensives :

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A la Renaissance, la chevalerie lourde disparaît, l’équitation de bataille se transforme en équitation académique ; La Guérinière, premier de tous les grands écuyers français de l’époque, « nie toute utilité aux mors, éperons et lanières de toute sorte ». Mais les éperons sont toujours utilisés, comme vous pouvez le voir sur les peintures de l’époque. Ils permettent à cette époque une plus grande réactivité au jambe, et commencent à avoir le rôle qu’on leur donne aujourd’hui, c’est-à-dire celui de la précision dans la demande d’un air à sa monture. Les éperons à la mode au XVIIIe siècle tintent, grâce à de petits grelots ; cette idée d’un éperon qui prévient le cheval d’un mouvement de la jambe a été conservé par les Espagnols dans un premier temps, puis les Mexicains et les cow-boys.

Louis XIV à cheval (matez ses guibolles) :

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Puis l’équitation a évolué au XIXe siècle vers une équitation moins savante, plus orientée « loisir » avec son développement bourgeois (les balades au Bois de Boulogne le dimanche), et « sport » avec la mutation des unités de cavalerie en unités blindées (au XXe siècle), donc les éperons se sont raccourcis, radoucis, simplifiés… En apparence moins durs.

2. Or donc, à quoi ressemble un éperon ? Et ses accessoires ?

Petit panorama de ce qu’on peut trouver chez votre sellier favori. (j’vais essayer de rien oublier, dans la grande diversité et inventivité dont font preuve les fabricants)

A. Les éperons.

a. L’éperon « polo » ou à boule.
Le plus doux en théorie, celui qu’on utilise en premier quand on n’a pas encore la jambe trop fixe ni l’habitude d’utiliser des éperons. Il est doux, mais si employé trop fort, il peut provoquer des hématomes (par des « frappers » excessifs, style poney qu’avance pas ou gros têtu plus intéressé par l’herbe que par l’abruti là-haut).

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b. L’éperon « marteau ».
Effet similaire à l’éperon « polo », d’origine britannique.

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c. Le Prince-de-Galles.
Le plus simple d’aspect ; une tige, de longueur variable (plus elle est longue plus elle est précise – et risque d’être sévère). Donne plus de précision qu’un éperon « polo », mais est déjà plus délicat à l’emploi.

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d. Le « col de cygne ».
Pareil que le Prince-de-Galles, mais avec une tige qui remonte vers le haut, pour les cavaliers à longues jambes qui dépassent sous le ventre de leurs chevaux.

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e. Les éperons à molette.
Les plus sévères en équitation classique, encore que ça dépende de 3 critères : tranchant, nombre, et longueur des dents. Evidemment, plus les dents sont longues et tranchantes, plus le risque de blesser le cheval est présent. Sinon, la molette peut présenter un intérêt, dans la mesure où elle autorise un certain amorti lors du contact entre l’éperon et le cheval, si elle tourne librement. Mais bien sûr, tout dépend de l’utilisation qu’on en fait *je réfrène mon penchant polémique pour le moment*

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f. Les éperons western.
Plus souvent décoratifs que vraiment utiles, si j’en crois ce que l’on m’a dit (je suis une novice complète en EW), puisque dans cette équitation, la majeure partie des aides se fait à la voix et à l’assiette (ce qui est admirable, cavaliers de classique, prenez-en de la graine). Ils sont en général gravés et ornés, et parfois garni d’un petit grelot ( cf ci-dessus).

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B. Les accessoires.

a. Les matières utilisées.
On trouve des éperons en plastique, ultra-légers, et des éperons en métal (souvent inox , parfois laiton ou maillechort – un alliage doré). La matière n’a pas vraiment d’importance sur l’action de l’éperon, si ce n’est que le métal est plus froid que le plastique, donc le cheval peut éventuellement mieux le percevoir. Et le plastique est probablement moins solide, mais ça n’est peut-être qu’un préjugé je n’en ai jamais eu.
Pour de beaux éperons, on admirera ceux du Cadre Noir, les éperons dorés font partie de leur tenue de gala, avec la cravache à pommeau doré aussi.

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b. Les fixations.
Lanières en nylon ou en cuir, selon les goûts. Le nylon tressé n’est pas percé à l’avance, c’est parfois un peu galère à fermer ; mais c’est plus souple que le cuir.
Pour les éperons western, on trouve de belles courroies en cuir travaillé.
Et enfin, il existe des éperons auto-fixants, que l’on insère dans l’espèce de « tranchée » au dessus de la semelle de la chaussure.

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c. Et les éperons-Barbie…
trop bieeeeeen des straaaass :-D

3. De l’utilisation des éperons.

Ceci est une partie plus subjective que le reste, dans laquelle je vais m’efforcer de démontrer la bonne utilisation des éperons.

Commençons par rappeler la célèbre phrase de Baucher : « l’éperon, ce rasoir entre les mains d’un singe ».Ca veut bien dire ce que ça veut dire : l’éperon est un outil qui peut se révéler dangereux, aux talons d’un cavalier inexpérimenté.

Première condition à son utilisation : la fixité de la jambe. Eh oui, quoi, si vous avez les jambes qui font essuie-glace, s’éloignant du flanc pour mieux s’y planter après, oubliez tout de suite votre paire d’éperons au fin fond de votre malle, et n’y touchez plus jusqu’à nouvel ordre. Le but de l’éperon est d’optimiser la sensibilité du cheval aux ordres donnés par la jambe. Une jambe non fixe qui viendrait donner de l’éperon à chaque foulée anéantirait complètement cette optique de travail, puisqu’elle « blaserait » le flanc du cheval en l’endurcissant ; ou alors, elle risque de le blesser, et ça n’est évidemment pas souhaitable, n’est-ce pas ?

Deuxième condition à l’utilisation de l’éperon : une utilisation précise et maîtrisée. Il faut savoir pourquoi l’on met des éperons. Cela peut être pour un cheval blasé à la jambe, qu’il faut rééduquer « au souffle de la botte », même si avant d’en arriver à une telle utilisation, il faut avoir d’abord épuisé d’autres possibilités telles que la leçon de jambe. Cela peut être – comme dans mon cas actuellement – pour travailler sur l’équilibre latéral d’un cheval qui aura tendance à « coller » à la jambe : si j’utilise des éperons (de façon ponctuelle, une fois par semaine), c’est pour apprendre à ma jument à se tenir dans les courbes, où elle a tendance à se coucher sur ma jambe intérieure. Lorsqu’elle ne se tient pas, un petit effleurage d’éperon intérieur suffit à la redresser. Je ne les utilise que ponctuellement pour éviter le risque de l’y blaser ; et cela a suffi, en 2 séances, à améliorer sensiblement son incurvation. On pourra également mettre des éperons quand le cheval aura acquis de très bonnes bases sur le plat, pour évoluer vers des airs de dressage qui demandent plus de finesse, tels que les appuyers, les pirouettes…

Troisième condition d’utilisation : le faire dans le respect du cheval. Trop souvent, et ce même dans les grands concours, que ce soit du dressage notamment, mais aussi du CSO, on voit des chevaux aux flancs blessés. D’ailleurs, maintenant, au sortir d’une reprise de dressage, un juge vérifie s’il n’y a pas de blessure sur les flancs et à la commissure des lèvres, ce qui peut être disqualifiant. Pensez toujours, pendant une séance en éperons, que vous en portez, et que vous êtes susceptibles de blesser votre monture ; et vérifiez toujours après qu’il n’y a pas de plaie ou de gonflement.

Comment utiliser ses éperons ?

Tout dépend du but que l’on se fixe. Mais on distinguera 5 « actions » possibles :

  1. la pression : action lente et progressive, utilisée pour les transitions.
  2. le toucher : action fugitive et délicate à la sangle, c’est une utilisation très fine.
  3. le pincer : action de l’arrière vers l’avant, qui pince la peau. Assez sévère, à utiliser avec parcimonie.
  4. le piquer : un toucher, mais en plus marqué. S’utilise comme confirmation du toucher en cas de non-obtempération ; ou par manque de finesse dans une volonté de toucher.
  5. l’attaque : utilisation dangereuse, ne doit s’employer que si l’on est vraiment sûr de soi. Stimule activement le cheval qui ne réagit pas à la jambe seule. Utilisé à plusieurs reprises, c’est une correction, comme on en voit sur les chevaux qui dérobent à l’obstacle (souvent utilisés conjointement à la cravache, de façon violente).

Je reprendrai ici le mot d’Henriquet (je crois) qui dit que l’éperon doit se faire « électrique » : c'est-à-dire agir par « touchers » extrêmement ponctuels et maîtrisés. Il faut toujours privilégier l’action du mollet sur celle de l’éperon, et l’éperon ne doit intervenir qu’en cas d’absolue nécessité.

Mais finalement, je rejoins l’idéal de La Guérinière, d’une équitation « sans mors ni éperons ni lanières d’aucune sorte ». A mes yeux, l’éperon ne doit avoir qu’une vertu « thérapeutique » ponctuelle, utilisé pour pallier à certain défaut ou remédier à un problème bien précis. Soyez donc prudents =)

Si vous avez quelque chose à ajouter, n’hésitez pas.

http://www.galopin-fr.net/hist/ : une source qui m’a été bien utile.

Auteur : Elfik